Article écrit par Eléonore Czarik et paru sur cerveauetpsycho.fr et dans le n°123 édition juillet-août
Le « coping », ou comment s’adapter à cette période de crise
En situation de perte de contrôle, nous mobilisons des ressources cognitives et émotionnelles qui facilitent l’adaptation. Regroupées sous le terme de coping, ces facultés sont une boîte à outils pour mieux faire face. À condition de savoir comment s’en servir !
La crise sanitaire que nous traversons présente un caractère inédit puisqu’elle nous affecte tous à un niveau aussi personnel que collectif, nous renvoyant à notre vulnérabilité face au danger et faisant peser sur nos têtes une épée de Damoclès. C’est évidemment l’occasion de faire preuve d’humilité et de prendre conscience des illusions de toute puissance de l’homme face à la nature et son environnement, qu’il considère trop souvent comme acquis. Cependant, le constat le plus difficilement supportable est qu’actuellement aucune personne aussi puissante ou experte soit-elle n’a de visibilité à court ou moyen terme sur l’issue de cette situation, et par là sur notre destin individuel et mondial. Des milliards de citoyens à travers le monde, tous dans le même bateau du confinement et du déconfinement annoncé, observent et subissent cette situation avec parfois grande difficulté. Peut-on réfléchir à des propositions concrètes d’adaptation à ce contexte singulier ?
Étape n° 1 : l’angoisse !
À ce titre les psychologues ont semble-t-il un rôle important à jouer pour aider les individus à gérer au mieux les étapes de cette crise qui affecte tout un chacun avec des impacts plus ou moins graves. Praticiens et chercheurs aux spécialités très vastes mais toutefois complémentaires dans la compréhension de la complexité de l’esprit humain, leur champ d’activité ne se restreint pas à une écoute bienveillante de soutien psychologique, ni même seulement d’aide thérapeutique, mais consiste également à penser cette crise inédite qui bouleverse nos vies, avec les dommages collatéraux psychologiques qui ne semblent pas avoir été considérés dans l’urgence de la décision de confinement. Il s’agit également de mettre à la disposition des patients les outils existants dans la gestion de la menace.
En effet, le dispositif exceptionnel de confinement, certes indispensable au contrôle de l’épidémie, donne à beaucoup le sentiment d’être obligé de subir passivement cette situation anxiogène. Il maintient un grand nombre d’individus dans un niveau d’anxiété intense, maintenu à coups d’informations macabres devenues pourtant habituelles sur le décompte des décès quotidiens et son très attendu top 3 des pays les plus touchés (peut-être pour se rassurer en voyant qu’il y a pire ailleurs ?). Les débats sur une inexorable récession économique et faillites en chaîne des entreprises, l’absence de bruits habituels extérieurs, les lieux publics désertés, la diminution de libertés perçues comme acquises, sont autant de sources d’angoisse et de perte de repères affectant des gens qui ne requéraient d’ordinaire pas de soutien psychologique. Pour certains la peur d’être contaminé ou de contaminer d’autres personnes au sein de la cellule familiale engendre des états de stress, de repli préoccupant, notamment chez les enfants facilement perméables au mal-être parental. Une sorte de flottement spatiotemporel et existentiel s’opère chez d’autres et les empêche de fonctionner normalement, sans compter chez d’autres encore l’augmentation du risque de violences conjugales et intrafamiliales. Des manifestations de colère sont également à l’œuvre face aux maladresses et revirements stratégiques des gouvernements, aux pénuries d’équipements médicaux dans la majorité des pays, rendant cette crise encore plus intolérable et créant par là un nid propice à de nouvelles crises sociales. D’autant plus que le sentiment d’incertitude grandissant et incessant créé par cette situation inédite est forcément très anxiogène pour la plupart des individus.
Une épreuve : la perte de contrôle
D’un point de vue psychologique, ces expressions de désarroi sont humaines, et même légitimes ; la peur est un mécanisme adaptatif qui nous alerte en cas de danger, la colère nous informe que nos besoins n’ont pas été satisfaits. Mais lorsque le stress intense devient chronique et que les émotions négatives induites par le contexte mondial menaçant deviennent la nouvelle norme, alors se créent des réactions physiologiques en chaîne qui risquent d’affecter notre rythme circadien, notre système immunitaire, nos relations interpersonnelles et in fine, notre santé mentale. À ce titre, le sentiment de perte de contrôle est certainement un facteur décisif. Les travaux du psychologue américain Martin Seligman, d’abord menés chez l’animal puis adaptés aux comportements humains, ont conduit au concept fondateur de résignation apprise. Selon cette notion, tout sujet qui est confronté à des événements indépendants de son comportement, et qui comprend qu’il n’a aucune prise sur eux est à risque de développer un état dépressif, résultat d’un sentiment d’impuissance généralisé. Dans cette droite ligne, d’autres chercheurs ont mis au jour des effets de l’incontrôlabilité sur une baisse de performances cognitives, ainsi qu’une plus grande vulnérabilité aux maladies, une diminution de l’estime de soi ou encore une augmentation de la sensibilité à la douleur.
Le « coping », ou l’art de s’adapter
Heureusement, il est possible à chacun, à son niveau, d’inverser cette tendance en mettant en place des stratégies d’adaptation au stress ainsi qu’au sentiment de manque de contrôle. En anglais, « faire face », « s’adapter », « surmonter » sont autant de verbes qui peuvent plus ou moins se résumer par un terme : coping. Les recherches en psychologie se sont attachées, depuis une trentaine d’années, à creuser le champ de ces stratégies d’adaptation, aujourd’hui bien connues en psychologie de la santé, et aujourd’hui très utiles à redécouvrir ! C’est en 1984 que deux psychologues à Berkeley, Richard Lazarus et Susan Folkman, définissent le coping comme l’ensemble des efforts cognitifs et comportementaux mis en œuvre par une personne pour gérer des exigences qui excèdent initialement ses ressources.
L’enjeu actuel est de réinterpréter nos vies en faisant le bilan de nos compétences personnelles en rapport avec ce nouveau contexte
Lazarus et Folkman identifient trois types de stratégies : le coping centré sur le problème, qui vise à réduire les exigences de la situation ou à augmenter ses propres ressources pour mieux y faire face ; le coping centré sur l’émotion, qui comprend les tentatives pour réguler les tensions émotionnelles induites par la situation ; et le coping centré sur le soutien social, qui consiste à obtenir la sympathie et l’aide d’autrui. Une stratégie de coping sera considérée comme efficace si elle permet à l’individu de maîtriser la situation stressante ou de diminuer son impact sur son bien-être physique et psychique (ou, idéalement, les deux à la fois). Tout l’enjeu de cette approche est donc d’identifier au préalable les niveaux de stress puis de contrôle perçus par le patient en dressant un inventaire de toutes les ressources dont il dispose (qu’elles soient d’ordre affectives, cognitives, sociales, comportementales…) afin de déterminer les stratégies de coping les plus adaptées…
Diverses stratégies disponibles
Devant une situation dépassant leurs ressources initiales et suscitant un fort sentiment d’incontrôlabilité, certaines personnes vont éprouver le besoin de développer des stratégies dites « proactives », en tentant de se doter d’un meilleur contrôle sur la situation à travers le coping centré sur le problème. Dans le contexte de la pandémie de Covid-19, ce sera le cas de celles et ceux qui ressentent un besoin d’accroître leurs connaissances sur l’histoire des épidémies et leur résolution depuis le Moyen Âge, ou encore sur la complexité des phénomènes immunologiques, leur apportant une forme de maîtrise sur le sujet par un éclairage nouveau qui recontextualise la crise sanitaire traversée. Certaines personnes, redoutant une menace directe sur le plan professionnel, vont procéder à une évaluation précise du risque de contagion associée à la nature de leur activité, modélisant les risques encourus par chacun, de manière à identifier d’ores et déjà les options organisationnelles les plus ingénieuses pour y faire face. Le coping centré sur le problème est souvent considéré comme le plus efficace à long terme. Mais il est difficile à mettre en œuvre dans la crise actuelle : même si la recherche avance plutôt rapidement on manque encore de beaucoup de données sur le virus et sur la pandémie qui nous permettrait d’agir avec certitude.
Agir sur les faits… ou sur les émotions ?
Autre stratégie de coping, celui centré sur l’émotion serait quant à lui le mieux adapté à court terme, ainsi que pour des événements fortement incontrôlables. Les premières semaines de la période de confinement imposée pendant l’épidémie de coronavirus ont bien montré comment de nombreuses personnes maniaient avec talent l’humour, ou des émotions comme la compassion ou l’attendrissement, dans des vidéos tantôt hilarantes, tantôt émouvantes diffusées sur les réseaux sociaux. Toute tentative visant à restaurer un sentiment de bien-être, que ce soit par le rire ou toute émotion positive fédératrice, permet de dédramatiser quelque peu le contexte anxiogène ambiant. La régulation émotionnelle se fait en partie de manière automatique (la plupart des gens arrivent à « penser à autre chose » après avoir vu les derniers chiffres des morts du coronavirus, que ce soit en discutant avec un ami, en cuisinant ou en travaillant… à condition de ne pas entretenir l’émotion négative en consommant toujours plus de médias anxiogènes). Et en partie de manière volontaire à l’aide de stratégies ciblées : regarder un film comique, éprouver de la gratitude pour le simple fait d’être en bonne santé, ou soumettre ses propres pensées négatives à un examen critique pour en remettre en question le bien-fondé.
La voie du soutien social
Enfin, le coping centré sur le soutien social est utile dans tous les cas, quel que soit le niveau de contrôlabilité de la situation. Certaines personnes y recourent plus facilement que d’autres (nous connaissons tous un parent taciturne ou un ami qui préfère rester dans son coin plutôt que de chercher du soutien ailleurs), et il faut parfois se « prendre en main » pour reconnaître que l’on a besoin d’aide extérieure. Dans ce cas, même à distance, entendre la voix de quelqu’un de compréhensif, qui vous apaise simplement en entendant s’exprimer vos angoisses, fait partie du coping centré sur le soutien social. Celui-ci apporte alors une détente rapide en renforçant les liens psychoaffectifs et les sentiments positifs internes.
Certaines personnes vont éprouver le besoin de développer des stratégies dites « proactives », en tentant de se doter d’un meilleur contrôle sur la situation.
Il n’y a pas de règle générale permettant de savoir quelle stratégie est la meilleure pour un individu donné sachant que l’objectif est de permettre à cet individu de maîtriser la situation stressante ou de diminuer l’impact de cette situation sur son bien-être physique et psychique. Ce qu’il faut garder en tête, est que la qualité des stratégies de coping dépend en partie des antécédents personnels à la fois biologiques, psychologiques et sociaux (un passé dépressif, une santé de fer ou des soucis médicaux, un tempérament anxieux ou optimiste, une situation d’isolement social…) qui vont moduler la perception de la menace, et inévitablement la réponse qui en résulte. Un bilan à distance, réalisé par un professionnel en téléconsultation par exemple, peut alors être utile pour trouver le bon choix de coping.
Attention, « coping » inadapté !
À cet égard, un écueil important à éviter est la mise en place – involontaire, le plus souvent – de formes de coping inadaptées. Pour supporter l’incontrôlable, nous allons parfois chercher des solutions qui semblent certes apporter un apaisement temporaire, mais n’arrangent rien dans le fond et sur le long terme. Ces stratégies inadaptées sont variées ; parmi elles, on compte l’évitement (surtout, ne pas parler du coronavirus), le déni (« c’est une grosse grippe, on en fait tout une affaire mais dans le fond c’est très exagéré »), la pensée magique (« la prière évite de l’attraper »), ou encore la distraction mentale (passer son temps à jouer aux jeux vidéo pour ne pas être atteint par les émotions négatives). À l’inverse des stratégies de coping centrées sur le problème, sur les émotions et sur le soutien social, ces dernières stratégies se caractérisent par une manière désorganisée ou rigide de faire face, et sont généralement associées à de moins bons résultats. D’où l’importance de l’expérience du clinicien, capable d’appréhender le profil de chaque patient pour évaluer la pertinence de tel ou tel type de coping. Mais ensuite si la personne déploie les bons efforts pour réguler son comportement et ses peurs, le pronostic est généralement encourageant… S’il ne manque pas un ingrédient essentiel : le sentiment d’autoefficacité.
L’autoefficacité, une clé du succès
Le concept d’autoefficacité a été exploré pour la première fois par l’américain Albert Bandura, en 1986. Pour ce psychologue cognitiviste, l’autoefficacité désigne « les croyances des individus à propos de leurs capacités à mobiliser la motivation, les ressources cognitives et les comportements nécessaires pour exercer un contrôle sur les événements de la vie. » En clair : si une personne pense pouvoir produire des résultats, elle agira efficacement. Et inversement, si elle se croit peu capable de contrôler certains événements inquiétants, elle se tourmentera, au point de nuire à ses actions et émotions, et risquera alors de s’engager dans des ajustements inefficients, comme la rumination, ou les formes de coping inadaptées citées plus haut, voire la démobilisation ou la fuite. Plusieurs études soulignent l’impact favorable du sentiment d’autoefficacité sur la qualité de vie et la santé de façon générale : ainsi, des patients ayant subi une intervention chirurgicale cardiaque se portent mieux, six mois plus tard, lorsqu’ils ont une bonne appréciation de leur efficacité personnelle. Cette croyance serait aussi un indicateur de la capacité à surmonter des obstacles ou à opérer des changements de mode de vie.
Depuis l’enfance…
Qu’est-ce qui concourt à un bon sentiment d’autoefficacité ? Tout d’abord, sa construction pendant l’enfance. Chez un enfant qui constate que ses efforts paient (il a de bonnes notes à l’école s’il travaille), l’autoefficacité se développe dans de bonnes conditions. Évidemment, si personne ne lui fait de compliments à la maison, c’est plus difficile… Il faut aussi que l’individu se perçoive comme acteur de ce qu’il fait, ce qui ne coule pas toujours de source. Certains vous disent parfois que « c’était de la chance », ou qu’on les a aidés, en dépit d’évidences contraires. Il s’agit ici d’un sentiment voisin, l’agentivité personnelle, qui s’encourage et se construit aussi dans le temps. Les renforcements familiaux, les performances personnelles accomplies au cours de la vie, l’imitation d’individus couronnés de succès, sans compter l’éveil émotionnel associé à ces expériences (faire la fête quand l’occasion le mérite), tout cela échafaude au fil des années le sentiment d’agentivité et celui d’autoefficacité.
Plus tard, les mêmes principes continuent d’opérer : une personne qui a été responsabilisée dans son travail, et qui arrive à connecter les résultats de son action avec les objectifs définis au départ, gagne en sentiment d’autoefficacité. Et puis, il y a les situations exceptionnelles comme une pandémie imposant des changements radicaux de mode de vie, parfois très contraignants, dans un contexte d’incertitude majeure. Comment, dans un contexte de restriction des libertés d’action, se sentir acteur d’un changement possible face à une menace qui remet en question la plupart de nos modes de vie ?
Il semblerait que la crise que nous traversons mêle intimement les dimensions individuelles et collectives d’autoefficacité. Elle incite les individus, à partir d’une situation inédite, à agir sur les conditions qui affectent leur existence, mais l’exercice de ce contrôle peut façonner à la fois le destin personnel des individus comme influencer l’avenir collectif national. Rappelons quelques initiatives déjà à l’œuvre chez de nombreux citoyens décrits comme des « héros du quotidien » du fait d’actes de solidarité, de générosité, et de courage. La création de masques à domicile, les livraisons de repas aux personnels soignants ou de courses à ses voisins, les dons ou la fabrication de matériel médical, sont autant d’exemples d’actions parmi d’autres relevant de compétences individuelles qui influencent favorablement le quotidien de tous.
L’importance d’être un agent
Toutefois, nul besoin d’être un héros pour solliciter ce type de ressources, il convient d’essayer jour après jour par des actions simples (rester en forme, se relaxer, communiquer positivement, rendre service, chercher des solutions ou de l’aide, créer de nouveaux réseaux…) de se maintenir dans un processus proactif qui permet de moduler l’effet néfaste du contexte de crise. Se souvenir de tous les événements de vie difficiles que l’on a déjà traversés constitue un autre moyen d’accéder à ses ressources motivationnelles.
Au cœur de l’adaptation, il y a la notion de compétence. C’est pourquoi tout l’enjeu actuel est d’essayer de réinterpréter nos vies en se repositionnant à la fois par rapport à ce nouveau contexte et par rapport à nos compétences personnelles. En étant la proie de l’ennui et de la déprime chez elle, telle personne peut se souvenir qu’elle a reçu beaucoup d’éloges au lycée à cause de son talent pour le dessin, et retrouver le plaisir de dessiner chez elle. En se rappelant que ses collègues venaient souvent la voir pour lui parler de leurs problèmes, telle autre peut prendre conscience de son talent d’écoute et de soutien social, et rendre service aux autres tout en gagnant un sentiment d’utilité très bénéfique. Tout cela va de pair avec le développement d’un certain optimisme qui repose en grande partie sur la recherche de solutions créatives, par la production d’idées et d’actions à la fois nouvelles et adaptées à leur contexte.
De fait, les initiatives de mobilisation qui fleurissent actuellement sont la preuve que certaines personnes sont capables d’utiliser spontanément des stratégies de coping adaptées et tout à fait inspirantes, qui créent en retour un cercle vertueux bénéfique à la gestion de la crise, incitant à en faire de même ou tout simplement à se sentir plus confiants en l’avenir. Une fois amorcées, ces stratégies créent de nouvelles dynamiques permettant de se sentir partie intégrante d’un processus en constante évolution, comme les chercheurs qui travaillent sur des remèdes, les soignants qui sauvent des vies, ou les agriculteurs qui continuent de nous nourrir. Mais ce qui change, c’est la connaissance que nous avons des mécanismes psychologiques sous-jacents. Nous savons aujourd’hui que la faculté d’adaptation de l’être humain obéit à certaines règles. Nous sommes loin de toutes les connaître, mais en observant les réactions des personnes à travers le cadre conceptuel du coping et de l’autoefficacité, il est possible de repérer les orientations prometteuses et d’éviter celles qui se traduiront par plus de souffrance.
Lire l’article paru le 6 mai 2020 @cerveauetpsycho.fr
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